vendredi 25 juillet 2008

Histoire d'amitié



Histoire d’amitié et de pêche au silure. http://fr.wikipedia.org/wiki/Silure


L’histoire se passe 85 ou 86. A cette époque, les pêcheurs étaient tous émoustillés par l’annonce de la capture de silures dans la petite rivière « Seille ». Cette splendide petite voie d’eau, navigable depuis Louhans, en Bresse, se tortille sur 40 kilomètres avant de se jeter dans la Saône, un peu en aval de la ville de Tournus. Traversant quelques villages, des moulins à eau fonctionnaient et créaient des retenues qu’il fallait gérer à cette époque à l’aide de 4 écluses manuelles avec des chaînes pour fermer les portes. On y rencontrait la fine fleur des chevaliers de la gaule, car extrêmement poissonneuse et peu fréquentée par des bateaux.


Nous étions avec «Marabout », stationnés depuis quelques temps sur le Rhône dans la région de Valence où je tentais de faire bouillir la marmite…, et nous avions pour voisin « Martin Pêcheur », un petit 7 mètres étriqué, habité par Gégé et Martine.


Gégé était une espèce de colosse débonnaire et inattendu d’une trentaine d’années, nageur et plongeur exceptionnel, très cultivé et plein d’humour, il gagnait sa vie en important une excellente bière allemande qu’il livrait personnellement chez ses clients, bars ou particuliers. Sa compagne, Martine, un petit bout de femme souriant, gérait l’amitié comme une chatte qui protège ses petits…


J’avais rencontré Gégé d’une curieuse façon quelques années auparavant. Nous vivions avec Mara (mon épouse), sur notre premier bateau « Le Mara », un 9 mètres fluvial, un peu vieux, mais confortable.


Par une belle et chaude journée d’été, j’étais entré dans une petite lône http://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%B4ne qui se trouve en amont de Valence et à l’intérieur du « bras mort » de la Roche de Glun. Ce bras mort, réputé non navigable, parce que « très mal pavé » et qu’il ne mène nulle part, était mon lieu de rêverie préféré dans la région : aucun humain ne s’y risque et une faune incroyable, du castor à la couleuvre vipérine http://www.karch.ch/karch/f/rep/nm/nmco.html pouvait s’y observer …


J’étais donc là, seul, nu comme un ver sur l’arrière du « Mara », occupé à ne rien faire, quand je vis entrer dans la lône, une petite barcasse en bois de 3 ou 4 mètres occupée par un grand gaillard accompagné de 2 ravissantes nanas dans le plus simple appareil … ?

Mon sens … de l’hospitalité ne fis qu’un tour : « Fais chaud aujourd’hui… Avec cette chaleur, vous allez crever… Montez donc à mon bord… Je vous offre une boisson fraîche… »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je sortais des jus de fruits du frigo quand le grand machin qui accompagnait les naïades osa dire qu’il aurait préféré une bière… Qu’à cela ne tienne, j’étais prêt à tous les sacrifices. Je sortais royalement une bouteille du « quinze trous » tout neuf qui se trouvait à bord.

Çà ce corsa très vite. Gégé, car c’était bien lui, me regarda d’un air scandalisé et sévère :

- Vous voulez m’empoisonner ?

- ?

- Vous voulez me faire avaler çà ? fit-il en désignant ma bouteille

- ?

- Monsieur veut l’équipage pour lui seul ?

- ?

La dessus, avançant d’un pas ferme, il se saisit du « quinze trous » tout neuf et l’envoya par-dessus bord.

Imaginez la scène. Un mec inconnu avec la gueule « en coin de rue », qui domine mes 1,80 mètres d’une bonne tête, qui occupe mes 30 mètres carrés de bateau dans le désert le plus total…

Je fis une prudente marche arrière et saisis la solide trique en acacia que j’affectionne particulièrement dans les grands moments de solitude.

Le temps se figea un court instant.

L’énergumène leva un bras apaisant et sauta dans sa barque. Soulevant le banc, il fit apparaître 2 « quinze trous » dument remplis de sa bonne bière allemande (La Sturm) et tout de go, m’en offrit un.


Foin de digression, revenons aux silures et à la Seille.

Gégé, qui maintenant vivait avec Martine sur son « Martin Pêcheur » était devenu un ami, un complice, mon frère de pêche. Nous délirions de concert sur les articles de presse consacrés aux silures. Pensez-donc :

- « Encore un silure de 1,50 mètres pris dans la Seille par le fils Dupont (14 ans)»

- « 2 chiens disparus et probablement happés par les silures à La Truchère «

- « Mesdames, ne laissez plus vos jeunes enfants au bord de la Seille »

- « Les pompiers de Branges, ont été attaqués par d’énormes poissons en vérifiant l’empierrage des piles du pont de Louhans »

- « Les chasseurs de Hully se plaignent de la raréfaction des populations de canards… il faut faire quelque chose »

……………


Nous décidâmes de mettre en route et d’aller nous porter au secours des indigènes de la Seille agressés par ces monstres.

Arrivés à l’endroit réputé le meilleur, amarrés à 200 mètres l’un de l’autre. Le « Marabout » et le « Martin Pêcheur » se mirent courageusement en pêche.

Pour ma part, j’avais sorti mon moulinet et ma canne à anneaux la plus solide. Un gros triple, un gros fil nylon de pêche en mer, un gros plomb et une énorme tanche comme vif…

Surexcités comme des gamins, nous restâmes 4 bonnes heures à attendre depuis l’arrière de nos bateaux. Puis, le naturel revenant au galop, nous installâmes nos détecteurs de touches respectifs pour nous retrouver à coté d’un « Quinze trou ».


(http://www.karpeace.com/peche-carpe/materiel/detecteurs.php)

Les détecteurs de touche, à cette époque, n’étaient pas courants et coûtaient probablement une fortune. J’avais imaginé un bricolage que j’utilise encore (et que j’ai présenté dans « Destination Pêche », une émission de FR3 en 88 ou 90).

En soudant des fils sur l’interrupteur d’un vieux transistor, j’en soudais l’autre extrémité sur les deux branches d’une pince à linge. En plaçant sur le nylon du moulinet un petit morceau de plastique que je pinçais dans la pince à linge, le départ d’un poisson arrachait le plastique de la pince, mettait le contact, et la radio se mettait en route…


Bref, encore une digression.

La nuit venue, nous regagnâmes nos pénates pour régénérer nos forces durement entamées. Vers 1 heures du matin, je fus réveillé par mon transistor déchaîné. Toujours nu comme un ver et les yeux bordés de reconnaissance, je me précipitais vers mon moulinet qui se dévidais comme jamais.

Houai… Youpi…. Hourra….. !!!

De l’arrière du « Marabout » la nuit était noire comme le diable, l’air avait la douceur des bras de Mara.

La lutte fut dantesque. Que dis-je…TITANESQUE !

Le bestiau tirait comme un thon survitaminé. Je lui prenais 5 mètres et il m’en reprenait 6. Heureusement, Mara était là. M’épongeant le front, admirative à souhait, hydratant mon organisme avec vigilance…

Allez savoir ? Est-ce pour bénéficier d’une aide ou d’une admiration supplémentaire, que je lui demandais d’appeler Gégé par VHF (VHF : la radio du bord…… le portable n’existait pas). Pas de réponse. Le bougre devait ronfler comme un sonneur. Les éclats lumineux du spot restèrent également sans résultat.

Je restais donc seul dans ce combat de titans.

Après 1 siècle d’efforts, le fil cassa.


Le tumulte cessait sur les eaux, mais restait dans ma tête.

Assis par terre, debout, accroupi, penché en avant, je mimais et remimais toutes les phases du combat à Mara qui reste mon meilleur public.

45 minutes plus tard, Gégé apparaissait, frais comme un gardon de la Seille…

Son admiration me fit chaud au cœur. Il me fit répéter plusieurs fois le récit du combat, me demanda toutes les précisions qui prouvaient qu’il aurait bien voulu être à ma place et tenta de me consoler de la fin prématurée de mes exploits en m’expliquant avec compétence toute l’impossibilité de maitriser de tels monstres avec un matériel de gamin…

Je le rassurais immédiatement en l’assurant qu’il aurait lui-même un pareil bonheur le lendemain. J’en profitais aussi pour lui donner quelques conseils : le montage de ma ligne était certainement meilleur…. Puisque c’est sur MA ligne qu’IL a mordu…

Compréhensif, attentif, souriant, Gégé nous quitta vers les 4 heures du matin (après avoir liquidé tout mon stock de bière !).

Le lendemain, sur le coup de 10 heures, Gégé m’accompagna à pied jusqu’au village. Je voulais acheter un matériel capable de mater tous les monstres de la Seille. Il se montra de bon conseil en modérant mes emplettes et rapporta dans ses fontes quelques bouteilles d’un rosé capable de doper un ministre sans portefeuille……

Sur le retour, il m’entretint de sujets qui prouvaient toute la considération qu’il m’accordait et me demanda notamment, si au cours de mes études j’avais rencontré un prof de philo qui utilisait la méthode du dilemme dans ses cours. Sachant comme moi, que mon Certificat d’Etudes Primaire est le seul fleuron universitaire qui nourrit mon génie, je m’étonnais poliment de sa question et naturellement, lui demandais de me dire en quoi cette méthode était novatrice. Il me répondit qu’il allait, après la sieste, essayer de m’en fabriquer un exemple.

Pendant la sieste, j’aperçu avec plaisir Mara et Gégé qui s’entretenaient en grillant une clope.


Vers 15 heures, mon copain vint à bord. Négligemment, il posa sur la table une enveloppe blanche. Répondant à mon interrogation, il me déclara qu’il avait trouvé un exemple de la méthode des dilemmes… et m’expliqua que son prof posait une question sujette à un choix personnel sur un papier, l’élève avait en retour le choix entre 2 options. Selon sa réponse, il recevait une enveloppe qui contenait le commentaire du prof.

J’ouvrais immédiatement son enveloppe et découvrait le texte suivant : (Faire un clic sur la photo n°1)

Bien entendu, je déclarais vouloir la vérité.

Il me tendit la deuxième enveloppe.

Voilà ce que j’y trouvais : (Faire un clic sur la photo n° 2)

(Désolé pour la lisibilité médiocre de ces documents qui datent de bien longtemps)

Par la suite, Gégé m‘expliquât qu’il ne savait plus comment sortir de ce canular, tant il avait bien marché.

Il pensait au départ, pouvoir casser rapidement ma ligne en palmant vigoureusement et pour désamorcer rapidement la blague, il y avait ficelé une bouteille de sa bière… et celle-ci, en apparaissant m’aurait fait comprendre la supercherie. Hélas, mal attachée, elle tomba au fond de la Seille avant. La surprise de Gégé fut grande de constater, que dés qu’il arrêtait de palmer, je le ramenais irrésistiblement au « Marabout ». C’est complètement crevé qu’il se résigna à couper le nylon avec son couteau de plongée après 45 minutes de bagarre…


Et maintenant ?


Gérard Métral (Gégé) nous à quitté il y a quelques années. Il s’est noyé bêtement dans 3 mètres d’eau, en dessous du « Martin Pêcheur II ». Je lui dédie ce texte, ainsi qu’à Martine et leur fils Bertrand.

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